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Intervention journée de sensibilisation à la médiation le 11 février 2022
Médiation en matière sociale : la recherche de la faute inexcusable
Intervention de Madame Caroline LERMIGNY, magistrat au pole social et de Maître R-François RASTOUL, avocat-médiateur
Toutefois, par exception, le contentieux de la sécurité sociale n’est pas concerné par les dispositions de cet article : en effet, l’article 750-1 écarte de son champ d’application les cas dans lesquels l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision et tel est bien le cas des recours formés devant le pôle social du tribunal judiciaire, lesquels doivent être systématiquement soumis à un recours préalable obligatoire devant une commission de recours amiable ou une commission médicale de recours amiable à peine d’irrecevabilité.
Pourtant, le recours aux MARD au sein du pôle social – et plus particulièrement le recours à la médiation – peut s’envisager au regard des nombreux avantages que ces modes recouvrent tant pour le justiciable que pour l’institution judiciaire.
A titre d’illustration, le délai moyen de traitement d’un dossier de faute inexcusable employeur nouvellement enrôlé devant le pôle social du tribunal est actuellement de 12 mois environ.
A ce délai, s’ajoute celui du traitement par la CPAM de la demande d’ouverture de la procédure de reconnaissance de faute inexcusable que le salarié victime d’un accident du travail doit présenter devant l’organisme social, de l’ordre de plusieurs semaines.
Il lui faut encore attendre la fixation d’une réunion de conciliation par l’organisme social et enfin la notification du procès-verbal de non carence.
Il s’agit donc de faire face à des délais déraisonnables de traitement des dossiers et à l’engorgement actuel des pôles sociaux en envisageant notamment des propositions de médiation. Il s’agit également de trouver la solution la plus efficace possible pour le justiciable face à son litige.
Le recours à la médiation est organisé par l’article 3 de la loi de programmation du 23 mars 2019 qui prévoit que le juge peut enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur au cours d’une réunion d’information sur l’objet et le déroulement de cette mesure qui peut être ordonnée en tout état de la procédure (référé ou fond) dès lors qu’une résolution amiable du litige est envisageable (Loi n°95-125 du 8 février 1995, article 22-1).
La médiation permet ainsi aux parties à un procès de rechercher ensemble la meilleure décision à prendre, une résolution de leur conflit dans des délais courts et pour un coût qui restera moindre qu’une longue procédure judiciaire à l’issue incertaine.
C’est la raison pour laquelle il est envisagé d’organiser des injonctions en matière de médiation et des réunions d’information portant sur des propositions de médiation au sein du pôle social du tribunal judiciaire de Toulouse.
*La médiation présente, en effet, de nombreux avantages :
– elle offre une issue à la fois rapide et pérenne aux litiges,
– il s’agit de promouvoir une culture différente du règlement des conflits, incitant les parties à réfléchir autrement à la résolution du litige, dans la mesure où elles vont participer à la rédaction du projet de protocole transactionnel,
– elle peut apparaître plus efficace qu’une décision de justice car elle ouvre un espace de dialogue en présence de litiges très conflictuels,
– peut être également mise en exergue la confidentialité des échanges avec le médiateur, celui-ci respectant la confidentialité des informations dont il a à connaître dans le cadre de sa mission.
Le recours au MARL est un outil de plus à la disposition des Avocats quand le recours à la procédure ne peut qu’être cause de délais et d’aléas considérables.
Deux exemples en ce sens dans des affaires où je suis intervenu en qualité d’avocat des victimes :
- Accident de l’usine AZF de Toulouse en septembre 2001 dans lequel une centaine de salariés sur le site au moment de l’explosion ont été très ou grièvement blessés.
Le PDG de la société TOTAL leur avait promis qu’ils seraient indemnisés « quand l’affaire aura été jugée au pénal ».
Si je ne les avais pas engagés sur la voie de la négociation, puis de la conciliation, leurs dossiers n’auraient certainement pas été traités au bout de 20 ans de procédure pénale.
Or, ils ont été indemnisés dans des conditions tout particulièrement favorables, moins de 3 ans après le sinistre, dans le cadre d’un protocole d’accord signé en présence de la CPAM. - L’accident médical dont ont été victimes en 2008 145 patients surirradiés lors d’un traitement de chirurgie stéréotaxique de l’Hôpital Rangueil de Toulouse.
Certaines victimes très jeunes, ou d’autres plus âgées, déjà affaiblies par leur maladie, n’auraient pu supporter les longueurs et les aléas d’une procédure administrative.
Il fallait donc imaginer une autre stratégie.
J’ai demandé et obtenu du Ministre de la santé la désignation d’un médiateur ce qui a permis d’établir l’erreur de dosage par voie d’expertise médicale et l’indemnisation dans des conditions meilleures que ce que la juridiction administrative aurait pu leur allouer, ceci dans un délai de deux ans.
Mais la médiation ne pourrait-elle pas présenter néanmoins des inconvénients ?
* Allonger la procédure ? – Non, car la proposition de médiation ou l’injonction de s’informer s’inscrivent dans les délais d’instruction des dossiers et les parties ont la possibilité d’y mettre fin à tout moment.
* Alourdir le coût ? – Non, l’information par un médiateur est gratuite (ou prise en charge par le CDAD).
Quant à la prestation du médiateur, elle peut être prise en charge au titre de l’aide juridictionnelle, de la protection juridique ou être modulée en fonction des revenus des parties.
* Susciter la réticence des Avocats ? Depuis le 17 janvier 2021, le Règlement Intérieur National des Avocats s’est enrichi d’une disposition complémentaire qui « recommande à l’Avocat d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux modes amiables ou alternatifs de règlement des différends préalablement à toute action en justice ou au cours de celle-ci ou lors de la rédaction d’un acte juridique en introduisant une clause à cet effet ».
Faute de respecter cette recommandation, l’avocat s’expose à voir rechercher sa responsabilité professionnelle.
*S’agissant des modalités de mise en place de la médiation au sein du pôle social, dans le cadre de la mise en état, nous allons, Monsieur Romain Bonhomme, coordonnateur du pôle et moi-même, en tant que juges, sélectionner des dossiers selon des critères préalablement établis. Le contentieux de la faute inexcusable de l’employeur nous semble être le contentieux le plus adapté à la médiation. En effet, ce sont des dossiers sensibles, faisant l’objet d’un traitement éprouvant, coûteux pour les parties, à fort enjeu émotionnel et dans lesquels il est nécessaire de préserver la relation entre les parties qui est destinée à perdurer, d’où l’intérêt de la médiation qui apporte une dimension psychologique en recréant un espace de dialogue propice au règlement amiable du litige.
Par ailleurs, s’il existe une tentative de conciliation préalable à la saisine du tribunal en matière de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, cette tentative ne doit pas être confondue avec un recours préalable obligatoire, elle n’est pas prescrite à peine d’irrecevabilité et la caisse de sécurité sociale a la possibilité de refuser de la mettre en œuvre.
Cette procédure obligerait les Caisses à mobiliser des moyens humains importants pour notifier les convocations, organiser la réunion, notifier le procès-verbal d’échec.
Or, les tentatives de conciliation en matière de faute inexcusable n’aboutissent quasiment jamais.
La pratique actuelle des Caisses consiste ainsi à renvoyer le salarié vers son employeur pour connaître son acceptation ou son refus de la reconnaissance de faute inexcusable, ce qui génère une perte de temps, l’employeur n’étant évidemment pas enclin à reconnaitre sa faute, dont la prise en charge financière dépend de sa compagnie d’assurance.
La proposition de substituer à l’actuelle conciliation organisée par la CPAM une médiation confiée à un médiateur expérimenté est accueillie favorablement à titre d’expérimentation par les Caisses consultées (Tarn et Garonne, Lot, Hautes-Pyrénées et Ariège).
Etant toutefois précisé que, lors d’une réunion avec les représentants des 4 associations de médiateurs et la représentante de la CPAM de la Haute-Garonne, cette dernière nous a informés de la mise en place d’une phase amiable de médiation avec réunion des parties au sein de la caisse à compter du 1er janvier 2022.
En vue de mettre en place ces propositions de médiation, la sélection des dossiers pourrait avoir lieu dès le stade de l’enrôlement du dossier, mais également dans l’hypothèse où le juge a fait droit à la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, au stade de la demande en indemnisation des préjudices en résultant, suite au dépôt du rapport de l’expert.
Les critères de sélection pourraient être les suivants :
– les relations à long terme entre les parties,
– les intérêts futurs mutuels,
– s’agissant d’affaires à fort contenu émotionnel,
– la poursuite pénale de l’employeur des chefs de manquement à la sécurité,
– le besoin d’intimité et de confidentialité des parties,
– une résolution rapide du litige souhaitable, …
*Une fois les dossiers pré-sélectionnés, il est envisagé de mettre en place la médiation par voie d’injonction de la part du juge, proposition plus incitative.
Ce que les représentants des 4 associations de médiateurs lors d’une réunion récente avec le pôle social ont accueilli favorablement.
L’article 22-1 modifié de la loi du 8 février 1995 autorise en effet le magistrat à faire injonction aux parties de rencontrer au préalable un médiateur afin de l’informer sur l’objet et le déroulement de la médiation. Il prévoit, dans sa rédaction résultant de l’article 3 de la loi du 23 mars 2019, que : « En tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible, le juge peut, s’il n’a pas recueilli l’accord des parties, leur enjoindre de rencontrer un médiateur qu’il désigne et qui répond aux conditions prévues par décret en Conseil d’Etat. Celui-ci informe les parties sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation. »
Par ordonnance, le juge va enjoindre aux parties de se présenter devant un médiateur, aux fins d’information sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation et l’affaire sera rappelée à une audience de mise en état où les parties devront comparaître en personne et exprimer leur décision quant à la mise en œuvre d’une éventuelle médiation, à moins qu’elles n’aient fait préalablement connaître leur accord en vue de la mise en œuvre d’une mesure de médiation. Une médiation conventionnelle peut alors se mettre en place qui peut ensuite, si elle réussit, être homologuée par le juge et si les parties veulent une médiation judiciaire, elles reviennent devant le juge à ce titre.
En pratique, les parties devront, dans le cadre de l’injonction, se rendre à une permanence dédiée au pôle social en vue de rencontrer un médiateur.
Pour les matières civiles, une permanence se tient depuis le mois de septembre 2021 tous les mardi matin avec une possibilité d’extension au mercredi après-midi en tant que de besoin.
Le médiateur explique aux parties éventuellement accompagnées de leurs avocats le processus de médiation, et, dans l’affirmative, recueille leur accord, fixe une réunion de médiation.
Bien qu’il soit encore trop tôt pour tirer des enseignements après 6 mois d’expérimentation, 20 % des affaires appelées donnent bien un accord de médiation, même si l’on peut regretter que trop de parties sont absentes.
Autre pratique « 2 en 1 » : le juge peut également, dans le cadre de la même ordonnance, enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur inscrit sur la liste des médiateurs près la cour d’appel et de commettre, dans le cadre de cette injonction, un médiateur pour recueillir l’avis des parties sur cette mesure. Dans l’hypothèse où toutes les parties donneraient au médiateur, un accord écrit à la médiation, celui-ci, désigné par provision, pourra commencer, dès la consignation de la provision entre les mains du médiateur, ses opérations de médiation. Le juge donne mission au médiateur ainsi désigné:
– d’expliquer aux parties le principe, le but et les modalités d’une mesure de médiation ;
– de recueillir leur consentement ou leur refus de cette mesure.
(mission du médiateur de trois mois renouvelable une fois à compter de la date d’acceptation d’entrée en médiation)
Au terme de la médiation, le médiateur informera le magistrat mandant, soit que les parties sont parvenues à un accord, soit qu’elles n’y sont pas parvenues. L’affaire sera rappelée à la première audience utile suivant le dépôt du constat de fin de mission par le médiateur, pour conférer, sur la suite à donner à la présente instance.
*Pourront également être organisées selon les mêmes critères de sélection et pour les dossiers plus anciens déjà enrôlés mais non encore audiencés, des « réunions » de proposition de médiation à raison d’une réunion tous les deux mois au cours desquelles seront appelés une quinzaine de dossiers.
Sur ce point, je m’inspirerai fortement de l’expérimentation réussie organisée au sein de la chambre commerciale de la Cour d’appel de Toulouse par son Président, Monsieur Gilbert Cousteaux, entre janvier 2012 et décembre 2017.
Au cours de cette réunion de proposition de médiation, les parties pourront exprimer leur accord à la médiation et pourront faire le choix de leur médiateur parmi ceux figurant sur la liste, étant précisé qu’un médiateur représentant chacune des associations de médiateurs pourrait également intervenir lors de ces réunions afin de parler de son expérience et répondre aux éventuelles questions que se posent les parties et/ou leurs conseils. Cette intervention d’un médiateur lors de cette réunion me paraît très intéressante car l’un des principaux obstacles au développement de la médiation reste le manque de sensibilisation des usagers des tribunaux. Ces réunions présentent un intérêt pédagogique, les avocats pouvant se montrer réticents par méconnaissance de la pratique.
Pour avoir participé à ces réunions aux côtés de Monsieur COUSTEAUX, je peux témoigner de leur efficacité.
Dans l’hypothèse où les parties adhèreront au processus de médiation, une ordonnance de désignation du médiateur sera ensuite rédigée par le juge fixant une consignation, la durée de sa mission.
Le médiateur, dans le cadre de sa mission de trois mois (renouvelable une fois) fixera le lieu de rencontre des parties ainsi qu’un agenda.
Si un accord est trouvé, il en informera le juge pour qu’il l’homologue et lui donne force exécutoire ou qu’il prononce un désistement.
En cas d’échec, le juge retrouvera son dossier, sans avoir eu connaissance des raisons de cet échec, et la procédure reprendra son cours.
*Enfin, il nous paraît important également de tenter de mettre en place une autre voie de règlement des litiges au sein du pôle social, à savoir la conciliation, plus particulièrement :
– s’agissant des oppositions à contrainte lorsque le cotisant ne conteste finalement plus le bien fondé et le quantum de la contrainte mais sollicite des délais de paiement que le juge du pôle social ne peut lui accorder, cette compétence relevant exclusivement du directeur de l’organisme concerné,
– et s’agissant de certains indus, notamment dans les contentieux de la CAF.
Lors d’une audience de contentieux général, un conciliateur de l’association des conciliateurs de justice pourrait ainsi intervenir et le juge, dans certains des dossiers évoqués à l’audience, proposerait aux parties de tenter une conciliation dans la salle des délibérés uniquement en présence du conciliateur, pouvant donner lieu à l’établissement d’un procès-verbal de conciliation que le juge pourrait ensuite homologuer.
« De la discussion, rien ne sort : c’est de la bonne entente que jaillit la lumière. Elle donne de l’éclat aux avis qui se ressemblent », Jules Renard
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